Elle.

Je revivais, j’existais à nouveau. La vie m’insuffla encore, l’envie d’avancer. L’envie d’accomplir, de réussir. Ce besoin irrépressible de créer, de partager, de ressentir. Six semaines furent un morbide écueil. J’oubliais tout. Ces instants pris dans la révolution terrestre aéraient l’étouffant terreau dans lequel mon âme combattait. La boue se dissipait, la buée s’évaporait, je sentais à nouveau la chaleur des rayons solaires et la fraîcheur de la rosée matinale. Ce dimanche douze mars, loin d’Alexandre, je vis à nouveau cette fille. Cette charmante muse que la fraîcheur enveloppait d’un drap de beauté animait mon cortex avec une affable douceur. J’entendais, croyez moi, son cœur chanter. Mes yeux en étaient malades, fatiguaient de ne plus pouvoir cligner, de sans cesse se river sur cette créature délicieuse. De longs cheveux bruns attachés que j’aurais voulu défaire afin de voir filer les myriades, les étoiles et les brillances universelles. Son visage était tendre, plein d’une gentillesse rassurante. Ses longues jambes avaient un trait exquis. Son sourire était un tableau magnifique, plein d’un univers attirant, curieux, terrassant. J’aurais voulu déposer sur ces lèvres roses un baiser, j’aurais voulu avoir son charme pour qu’elle comprenne mes envies. J’aurais tout fait pour partager un instant avec elle. Qu’elle devienne mon amie, qu’elle m’effleure que je m’envole ! Ailleurs, là où le flirt entre paradis et enfer n’est qu’un fil doré prêt à céder à tout instant, que le temps ne sait figer, sait briser, sait anéantir, sait disperser comme une pincée de cendres dans l’emportement maladroit du vent. L’emporter avec moi ou au moins le souvenir délicieux d’un échange quel qu’il soit. Que j’existe pour elle au moins quelques secondes ou pour l’éternité. Ma vie avait changé à cet instant précis. Nous étions à la campagne, les oiseaux discutaient, les feuilles dansaient dans une légère bise. Le soleil pénétrait les ombrages et nous réchauffait le cœur. La maison était en de nombreux points superbe. Elle inspirait calme et bien-être. L’hôte, Olivier, le père de mon amie, Léa, était d’une sympathie rare. C’était un homme charmant et gentil qui savait mettre à l’aise et vous incitait même à discuter, échanger, vanner, rire, partager. Nature ou exercice ? Le maître de cérémonie tenait un petit restaurant de douze couverts. L’affaire était prospère malgré les irrégularités qu’imposait la période. Un peu d’alcool, quelques mets apéritifs nous mettaient en appétit. Rires et échanges verbaux battaient leur plein, je me sentais à mon aise. Je sentais la tristesse et le déchirement sur le visage de Manon. Elle avait un ruban dans les cheveux qui lui donnait un charme supplémentaire. Nous entamions, une balade en barque dans les marais. Nous installions des chaises dans le bateau, Olivier fit gronder le moteur et nous partions flottant sur l’horizon. J’observais cette muse, ce visage nouveau, tendu, crispé par moment. Manon sortait d’une relation de cinq ans et vivait sûrement une passade pénible et cherchait à combler le vide qu’habitait la tornade de peine, de joie, de geôle, de liberté, de perspective, de perdition, d’abandon, de remise en question, de questions, de réponses, d’absences de réponses, de doutes, de certitudes, de bonheur, de tristesse, de souvenirs douloureux mais agréables. L’esprit faisait valser le vent, sa vitesse était assommante. Manon semblait combattre. j’étais forcément invisible à ses yeux. Je ne représentais rien. Un mec de plus, pas terrible, biscornu, intéressé, un de plus. Je le savais bien mais rêver était thérapeutique. Je fermais les yeux un instant, dans la barque j’entendais les couples se glissaient de jolis mots doux. Etaient-ils tous sincères ? Je pense que la moitié d’entre eux s’était trompée, je le savais, je le taisais. Le silence et l’ignorance de certains actes sont nécessaires au bonheur parfois. Être passif contre la douleur est certainement le meilleur des remèdes. Frapper avant d’être frappé. J’espérais secrètement pouvoir lui parler après cette après-midi, pouvoir partager avec elle toute ma vie, qu’elle me raconte tout, elle aussi. Lui donner rendez-vous devant chez elle, partir sur la côte, longer le gris-nez, laisser le vent emporter son parfum et ses cheveux. La regarder dans les yeux et lui dire tout mon amour. La regarder simplement, sans perversion, en toute bienveillance. Regarder les flots s’écraser contre la roche, vider nos esprits troublés. Regarder l’horizon, se sentir minuscule, avoir envie de tout redécouvrir. D’avancer, de repartir là où tout s’est arrêté. Ne plus penser au mal, ne plus penser tout court. Profiter du temps, l’effleurer, avoir l’impression de ne pas le laisser s’échapper. Je lui confierai son âme qu’il l’emporte éternellement. J’aurais aimé qu’on puisse bavarder des heures, attendre que le soleil se couche et peigne les cieux d’une palette méconnue de couleurs plus splendides que toutes celles déjà vues. Peindre un portrait de la vie presque idyllique, ne serait-ce qu’un instant, emprunté. Une petite journée, une petite heure, rien qu’une seconde. Ressentir la vie comme une caresse et non plus comme un coup de poignard, et pouvoir ne pas l’oublier. Le vivre, se contenter de l’essentiel, troquer l’oubli dans un instant substantiel, tuer l’intangible. J’ouvrais les yeux, la solitude et les pensées sombres firent à nouveau irruption, immarcescibles. Christelle était au commande du navire, Olivier s’était approché de sa fille. Nous passions devant d’anciennes portes servant à irriguer les champs environnants, j’imaginais la vie jadis, sans route. Toutes ces personnes ayant traversé ce marais, ayant contemplé sa flore. J’imaginais des couples déchirés, des larmes, des disputes, des meurtres, des rires, de la liesse, les premières cigarettes, les premiers flirts. Ce passage occupait mes pensées, le regard de cette muse était vide. Le mien tanguait comme la bâcove. Je me demandais à quoi elle pouvait bien penser. Je cherchais son sourire. Une approbation, un regard. Une fois rentrés nous nous installions dans le salon. un ampli, des vinyles, une cheminée. Un canapé baignant dans la lumière du jour, des livres et une belle odeur de thé et de café me réconfortaient. Je me rendais compte à chaque fois que mon visage croisait celui de Manon, sa souffrance me renvoyait à la mienne, à ma solitude, ce fardeau léger qui me pesait autant qu’il me servait d’alcôve. Ce petit coin où l’exprimer est accepté, l’accepter proscris. Je quittais la pièce, Manon et tout le reste. Les rêves en combustion, l’esprit éteint, vidé d’espoir, s’éparpillaient dans un brouillard que j’empruntais conscient et contraint par la facilité. Me complaire dans les idées noires, un refuge sordide, les larmes plein les placards, cette mélodie narcissique en orbite névrotique.

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